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Un autre regard sur la Terre

Espace, satellites, observation de la Terre, fusées et lancements, astronomie, sciences et techniques, etc. A l 'école ou ailleurs, des images pour les curieux...

Cinquante ans du CNES : une petite histoire de l’observation de la terre à Toulouse – Les années 70 au CST

Publié le 12 Février 2012 par Gédéon in Rétroviseur-un-peu-d'histoire

Images en mémoire, mémoires en images... 

Le 19 décembre dernier, quelques jours après le lancement du satellite Pléiades, le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) fêtait officiellement ses 50 ans : le 19 décembre 1961, le général de Gaulle signe la loi créant le CNES.

En fait, c’est le 10 février 1962, avec la signature du décret d’application rédigé par Michel Bignier, que la naissance du CNES est effective. Nommé à partir du 1er mars, le général Robert Aubinière devient le premier directeur général du CNES. La même année, l’association nationale des clubs scientifiques, qui deviendra l’ANSTJ puis Planète Sciences, est créée. Depuis les premières fusées expérimentales et les clubs de jeunes, son histoire est étroitement liée à celle des activités éducation et jeunesse CNES.

 

CNES - Toulouse - Vue aérienne du CST - 1975Vue aérienne du Centre spatial de Toulouse en juin 1975. Inauguré le 29 octobre 1973, le Centre
Spatial de Toulouse (CST) est chargé de la préparation et du développement des projets spatiaux de
satellites et de l'exploitation des moyens opérationnels. Copyright CNES 1975

 

Après le premier article sur la création du CNES, voici un nouvel épisode de la petite histoire du CNES dans les années soixante-dix à Toulouse, illustrée par des photographies  (parfois peu connues ou étonnantes comme ce logo du CNES, version années 70) et des témoignages de quelques acteurs. CNES - Logo - Années 1970

Ma sélection de dates (il y avait un grand choix) est subjective. J’ai retenu des événements liés aux applications de l’espace en général et à l’observation de la Terre en particulier : la période de 1970 à 1979 a été celle des fondations du programme Spot.

En recherchant des informations pour ce texte, j'ai été frappé de voir comment certaines décisions ont des conséquences à long terme et combien les questions traitées à l'époque restaient d'actualité : importance de l'accès indépendant à l'espace, politique de distribution de données spatiales (gratuit ou payant), difficultés à lancer des programmes européens ambitieux, ... et surtout, importance d'une vision politique !

 

Août 1971 : Avec Eole, un projet dans le vent, les applications s’envolent…

C’est le 14 avril 1970 qu’un conseil restreint sur l’espace donne la priorité aux applications et à une politique visant à disposer de lanceurs européens.

Le 16 août 1971, une fusée américaine Scout met en orbite Eole dont la mission est de localiser plusieurs centaines de ballons dans l’hémisphère sud et collecter les données météo mesures par les nacelles.

« Si vous voulez toucher le grand public, il faut passer dans les journaux sportifs » avait affirmé Maurice Claverie, le directeur du CST à l’époque. C’est ainsi qu’une balise Eole fut placée à bord du PenDuick IV d’Alain Colas. Il gagna la transatlantique en solitaire Plymouth – Newport. Sur le trajet retour, l’ancêtre de la balise Argos montra son utilité en permettant de localiser le trimaran dans un temps très brumeux.

La même année, en février, le GRGS, Groupe de Recherche en Géodésie Spatiale, est créé.

 

Juillet 1973 : le CNES crée sa première filiale, le GDTA, Groupe pour le Développement de la Télédétection Aérospatiale.

La première expérience de télédétection aéroportée est menée par le CNES et l’IGN (Institut Géographique National) en 1970.

Louis Laidet, qui fut administrateur du GDTA, explique : « Au début des années 1970, les applications de la télédétection n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements et il n’existait pas de structure regroupant l’ensemble des utilisateurs de l’observation de la Terre par satellites. Ce n’était pas dans la mission du CNES de créer une activité de services pouvant répondre aux besoins de ces utilisateurs. Par contre, en s’associant avec d’autres partenaires ayant des compétences complémentaires, le CNES pouvait développer et commercialiser ce service nouveau, la télédétection spatiale, plus facilement que s’il avait agi seul. »

Les deux premiers membres du GDTA sont le CNES et l’IGN bientôt rejoints par le BRGM etl’IFREMER. Le GDTA participe aux travaux de l’OPIT (Opération pilote interministérielle de télédétection), destinée à promouvoir la télédétection à l’échelle nationale. A côté de la diffusion des données Landsat et des campagnes aéroportées, le GDTA forme de nombreux stagiaires, en France et dans le cadre de la coopération internationale. En1979, « Gates » (ce n’est ni Bill ni Water… mais Groupe Aval de Travail pour l’Exploitation de Spot), recommande la création d’une société pour commercialiser les images.

 

CNES - Inauguration CST - 29-10-1973Inauguration du Centre Spatial de Toulouse (CST) le 29 octobre 1973 en présence de Jacques
Charbonnel, ministre du développement industriel et scientifique. Sur la photo, Michel Bignier et
André Lebeau. Copyright CNES 1973

 

1973 est également l’année de grandes décisions au niveau européen avec la création de l’Agence Spatiale Européenne et le lancement du programme L-IIIS qui deviendra ensuite Ariane.

 

1974 : Symphonie, première mise à poste au Centre Spatial de Toulouse

Le début des télécommunications spatiales en Europe : le premier modèle de vol est lancé le 19 décembre 1974 par une fusée Thor-Delta.

Le transfert en orbite géostationnaire est assuré par le centre de contrôle du DLR à Oberpfaffenhofen. Les équipes du CST assurent la mise à poste définitive et la stabilisation trois axes.

C’était la première mise à poste d’un satellite géostationnaire effectuée au CST, quelques mois après le transfert des équipes des moyens sol de Brétigny à Toulouse.

Couverture CNES LIIIS

« Si les Etats-Unis avaient vendu sans condition particulière les deux lancements Symphonie, la décision d’engager le programme Ariane n’aurait pu être obtenue. Une intransigeance maladroite, fondée sans doute sur l’idée que l’Europe serait de toute façon incapable de ressusciter son programme de lanceurs, vint à point pour fournir un appui décisif aux promoteurs de L-IIIS (NDLR : le premier nom d’Ariane). »

André Lebeau,
ancien directeur général adjoint des programmes
et de la politique industrielle au CNES

Dans la marge du document portant les conditions américaines, le négociateur allemand avait écrit : « Es ist schwer ! ».

 

1975 : Starlette, en robe à paillettes

Laser et boule à facettes en pleine mode du disco... 6 février, pour son premier lancement depuis Kourou, la fusée Diamant BP4 met en orbite le satellite géodésique Starlette. 37 ans après, pratiquement jour pour jour, pour son vol de qualification le 13 février 2012, la première fusée Vega, lancée également depuis Kourou, doit mettre en orbite le satellite italien Lares qui ressemble étrangement à Starlette.

 

starlette Lares

A gauche, le satellite géodésique français Starlette, lancé en 1975. A droite, le satellite italien
Lares, qui doit être mis en orbite en février 2012, à l’occasion du premier lancement de la fusée
Vega. Crédit image : CNES et Agence Spatiale Européenne

 

La télémétrie laser pour satellite a été mise en œuvre pour la première fois par la NASA en 1964 avec le satellite Beacon B (Explorer 22). Même si Starlette et Lares se ressemblent, leurs caractéristiques et leurs missions sont différentes :

  • Starlette mesure les variations du champ gravitationnel terrestre et a permis de mettre au point un modèle de marées océaniques global. Starlette mesure 24 centimètres de diamètre pour une masse de 47 kilogrammes.
  • Lares, en déterminant très précisément l'orbite du satellite par télémétrie Laser, doit mesurer l'effet Lense–Thirring prévu par la théorie de la Relativité générale. Lares est très dense : 387 kg dans une sphère de 36,4 cm de diamètre. 387 kg, es ist schwer !

 

1976 : la grève au Centre Spatial de Toulouse

Au début des années 70, le programme spatial français diminue au profit d’engagements européens. En mai 76, l’inquiétude des agents du CNES à Toulouse se confirme : le président du CNES, Maurice Lévy, annonce une baisse durable des activités du CNES et le licenciement de cent agents. 30 personnes sont nommément désignées. A Toulouse, 800 personnes se mettent immédiatement en grève… La grève a duré plus d’un mois, avec des relations tendues entre les représentants du personnel et la direction. Michel Bignier, directeur du CNES, démissionne. Le 21 juin, Maurice Lévy annonce aux grévistes que le gouvernement renonce aux licenciements.

Le conseil des ministres nomme une nouvelle équipe le 30 juin : Hubert Curien devient président du CNES et Yves Sillard, ancien directeur des lanceurs, prend le poste de directeur général. L’idée d’un programme national d’observation de la Terre revient sur la table :

« J’ai voulu rassembler l’ensemble du CNES autour d’un même objectif : un satellite (Spot), développé par le CNES, tiré par un lanceur développé par le CNES (Ariane), à partir d’un champ de tir dirigé par le CNES (Kourou). »

Yves Sillard

En juillet, Jacques Blamont est chargé d’un rapport sur la mise en place d’une direction technique au CST. Une direction technique unique est créée. Cette structuration se retrouve encore dans l’organisation actuelle avec les principales sous-directions.

 

1977 : lancement du satellite Meteosat et une première équipe européenne à Toulouse

Meteosat, qui inaugure le programme de satellites météorologiques géostationnaires européens, est le premier satellite d’application opérationnel. C’est également la première fois qu’un groupe projet européen est créé : le Bureau des programmes météorologiques.

 

meteosat1 - Première image - décembre 1977
Meteosat

Le 9 décembre 1977, Meteosat-1 transmet sa première image de la Terre. A droite, l'instrument
principal de Meteosat 1, la radiomètre qui prend les images en "scannant" la Terre grâce à la rotation
rapide du satellite sur son axe. Crédit image : Agence Spatiale Européenne.

 

Daniel Breton, ancien responsable du système Meteosat, se souvient :

« Il y avait 40 à 50 personnes, dont une quinzaine du CNES. Beaucoup de nationalités étaient représentées : des anglais, des suédois, des italiens, des allemands, des hollandais, des belges… Entre tous ces transplantés, il y avait naturellement un sentiment de rapprochement ».

En 2012, Eumetsat, l’organisation en charge de la météorologie spatiale opérationnelle, est une des plus belles réussites du spatial européen.

L’européanisation des grands projets spatiaux va devenir la règle plus que l’exception. Ainsi, la même année, en février, la France propose à l’ESA l’européanisation du projet SPOT (à l’époque : Système Probatoire pour l’Observation de la Terre), avec un lancement prévu en 1983. Plusieurs pays ne souhaitent pas s’engager. Finalement, la Belgique et la Suède mettent en place une coopération bilatérale avec la France.

 

1978 : lancement d’Argos et début de la commercialisation de produits issus de l’espace

Grâce aux bons résultats du programme Eole, le CNES signe avec la NASA et la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) un accord de coopération pour mettre au point un système opérationnel de localisation et de collecte de données par satellites. Le CNES crée un « Service Argos » qui aboutira en 1986 à la création de la société CLS.

En octobre 1978, le système Argos, embarqué sur le satellite américain Tiros-N, est mis en service. Michel Cazenave, son ancien PDG, raconte les débats sur la politique de commercialisation :
« Il y a eu de grandes discussions pour savoir si la distribution des données serait payante ou non. La directeur général, Yves Sillard, souhaitait que les utilisateurs paient le service. Pierre Morel, directeur des programmes, qui avait participé au système des échanges météorologiques mondiaux,le 23 défendait la gratuité au nom de l’intérêt scientifique. A la fin, le directeur général a tranché en faveur d’un service payant. Le plus amusant de l’histoire, c’est que lorsqu’on a demandé combien nous allions vendre ces données, c’est Pierre Morel, le pus farouche opposant au service payant qui a répondu : 20 dollars par jour ! »

La même année, le 9 février, le programme Spot est confirmé.

 

1979 : premier lancement d’Ariane, le 24 décembre, un beau cadeau de noël…

Un beau lancement, mais après deux reports. Le 15 décembre, compte à rebours et mise a feu mais le lanceur ne décolle pas : un des calculateurs a détecté une anomalie. Nouvel tentative le 23 décembre et nouveau report.

La troisième fois est la bonne, à 17h14 UTC le 24 décembre. Dans les hangars où sont réunis le personnel du CNES et les familles, c’est la fête !

Lancement de la fusée Ariane L01 depuis
le Centre Spatial Guyanais à Kourou le 24
décembre 1979. Crédit image : CNES.

ariane L01 1979

 

Un premier lancement d’Ariane réussi, un programme Spot décidé, une politique de développement des applications : tous les ingrédients sont là pour démarrer l’aventure de l’observation de la Terre… C’est une autre histoire, celle des années 80.

 

Guyane - Kourou - Lancement Ariane 1 - 1979

Hubert Curien, le président du CNES, adresse son discours de félicitations à l'ensemble du personnel rassemblé dans le hall d'assemblage Diamant au centre spatial guyanais à la suite du lancement
de Ariane L01. © Sygma/Alain Nogues, 1979

 

Les sources utilisées :

  • Les trente première années du CNES, de Claude Carlier et Marcel Gilli, éditions La documentation française.
  • 1968 – 1998, le Centre Spatial de Toulouse a 30 ans : témoignages, édité par le CNES
  • Anciens numéros de la revue "Espace Information", éditée par le CNES.


En savoir plus :


Kourou---lanceur-Vega---13-fevrier-2012.jpgLa fusée Vega sur son aire de lancement au Centre Spatial Guyanais (Kourou, Guyane française).
Crédit image : ESA - S. Corvaja

 

Vega---Vol-de-qualification---Profil-de-vol.jpgVol de qualification de la fusée Vega - Profil de vol. Crédit image : ESA - J. Huart

 

 

 

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